Mardi 9 avril, Catel réunissait à Marseille la délégation portée un mois auparavant à HIMSS 2024, pour débriefer et partager à un plus large public les enseignements de ce voyage d’étude. Plus de 80 acteurs de santé étaient ainsi rassemblés à l’Orange 5G Lab, au cœur de l’emblématique stade Vélodrome, rejoints par un auditoire élargi présent en visioconférence. Retour sur une après-midi d’échanges riches et porteurs d’enthousiasme pour les projets e-santé des établissements et services de soins de santé français. Un article proposé par Delphine GUILGOT, correspondante DSIH et membre de la délégation CATEL HIMSS 2024.
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Partager pour mieux avancer
Depuis 25 ans, Catel œuvre aux côtés des acteurs de la santé pour stimuler l'émergence de projets e-santé, faciliter le partage d'expérience, la formation, l'expérimentation et faire avancer la e-santé en France et à l’international. Une fois encore, la communauté était présente à ses côtés, prouvant, si cela était nécessaire, la force du collectif et du partage. Il n’était d’ailleurs pas question de s’arrêter aux frontières du groupe. La délégation SwissEnov, avec laquelle Catel avec déjà engagé des interactions à Orlando, a participé activement aux débats, ainsi que des représentants institutionnels, nationaux et régionaux. L’occasion de rappeler en préambule, comme l’a fait Hela Ghariani, déléguée ministérielle au numérique en santé, que « la France n’a pas à rougir d’une comparaison avec les Etats-Unis ».
Le numérique : une solution aux problématiques du secteur santé ?
François Crémieux, directeur général de l’AP-HM, est revenu en introduction sur la raison d’être du numérique, recentrant le débat sur les difficultés actuelles rencontrées par les établissements de santé. C’est un fait : leur enjeu principal aujourd’hui, ce sont les ressources humaines. « Le monde de la santé est organisé autour de cerveaux humains, d’engagement et de temps. Or, il y a un déficit massif de médecins, de soignants et de professionnels paramédicaux, par rapport à la quantité de gens à soigner et compte tenu, notamment, de la chronicité croissante des maladies et du vieillissement de la population » déplore-t-il. Il s’interroge : « Qu’attendre de l’innovation pour optimiser le temps médical et paramédical ? » Et si, finalement, nos besoins n’étaient pas si éloignés de ceux nord-américains ? Car, l’ensemble du groupe l’aura constaté sur place : les technologies ne sont là-bas que l’une des parties prenantes de projets plus systémiques, qui ont souvent deux objectifs : améliorer, évidemment, la prise en charge des patients mais aussi la qualité de vie au travail des soignants.
Thomas Savatier, directeur des Services Numériques au CH d'Arles, le confirme. Avant même son départ aux Etats-Unis, sa feuille de route avait pour ambition « de limiter le temps technique et de faciliter la documentation et la structuration des données dans le dossier patient ». Pour alléger la charge administrative post-consultation, il retient notamment l’existence de solutions d’interopérabilité entre les outils connectés, tels les tensiomètres, et le DPI, particulièrement pertinentes notamment pour les prises en charge au pied du lit du patient.
Reconsidérer l’approche techno-centrée
Ces dernières années, les systèmes d’information n’ont en effet pas eu bonne presse auprès des professionnels de santé. Les américains ont pris conscience, avant nous, que « l’environnement technologique, initié dans les années 90, n’avait pas été centré sur le patient, mais autour de technologie elle-même, rajoutant des tâches administratives aux professionnels, pour finir par aboutir à l’effet inverse de celui espéré,» comme l’explique le Dr Mozziyar Etemadi, Research Assistant Professor et Program director of R&D team à l’Université de Northwestern de Chicago. S’ils ont désormais changé de cap, c’est, semble-t-il, grâce à l’arrivée de l’Intelligence Artificielle (IA) qui « réalise enfin la promesse de toutes ces technologies, en permettant aux médecins de revenir à leurs activités de soin ». Il en fera d’ailleurs la démonstration appliquée à l’exercice de la radiologie, en montrant comment les radiologues économisent ainsi entre 30 à 40 % de leur temps passé sur l’ordinateur. Structuration et génération des comptes-rendus, priorisation des cas patients en fonction des urgences, … les applications sont nombreuses et éprouvées.
Pour une culture de l’innovation et une innovation du management
Ce changement de paradigme secoue notre esprit européen, habitué à fonctionner en silo. Emilie Mercadal, co-fondatrice et CEO de Rofim retient en effet, que « pour les américains, l’innovation n’est pas une fin en soi mais un moyen. » Parler innovation technologique est donc finalement réducteur. « Conduire un projet de transformation numérique ne doit pas s’apparenter à la mise en œuvre d’un projet informatique. Il faut en faire un projet d’établissement, un projet de soins », défend Félix Mamoudy, directeur de la transformation et de l'innovation de l’Hôpital Américain de Paris. « Nous ne sommes pas habitués en France à entendre l’ensemble d’un CODIR d’établissement parler de son DPI comme du centre névralgique de son organisation. C’est pourtant ce à quoi nous avons assisté au Winship Cancer Institute : leur SI est le miroir de leur organisation » s’enthousiasme-t-il.
L’innovation peut même devenir un levier d’engagement, de mobilisation et de valorisation des femmes et des hommes qui font l’hôpital. Jacqueline Hubert, consultante santé et porte-parole de la délégation SwissEnov, souligne comment il est possible de modifier les pratiques des soignants. « On n’a pas les mêmes attentes quand on est infirmière, que l’on a 20 ou 50 ans, des enfants en bas âge ou que l’on commence à être fatiguée. Les plateformes digitales permettent d’offrir des temporalités différentes en ouvrant aux soignants des postes en distanciel, pour faire de la téléassistance par exemple ». Elle en est convaincue : « Ceux qui s’empareront le plus vite de ces outils numériques seront les plus à mêmes d’être attractifs ».
L’urgence d’avancer… ensemble
Emmanuel Canes, directeur Healthcare & Life Science Industry chez Dell, a constaté cette année que « l’accélération de l’innovation était vraiment prégnante. Cela doit nous obliger, industriels, décideurs et soignants à développer rapidement notre maturité digitale. Pour la production de soins ou la recherche, l’appropriation est désormais indispensable, et ce, dès la formation « , continue-t-il.
François Crémieux en est aussi convaincu. S’il a le sentiment d’attendre encore la révolution numérique dont on l’assène depuis plusieurs années, il pressent paradoxalement « qu’il va désormais falloir que l’on se transforme beaucoup plus vite qu’on le fait aujourd’hui, pour être capable d’implémenter les innovations dès qu’elles seront disponibles ». Il regrette cependant l’absence de connexion entre le monde de la tech et celui de l’hôpital et appelle à leur rapprochement, dès la formation initiale.
C’est bien cette culture américaine de l’innovation qui inspire tous les acteurs de santé réunis ce jour-là. Dès le départ, tous les projets qui ont été donnés à voir fonctionnent en mode partenarial. L’écosystème entier participe à l’innovation, comme l’ont montré les visites des clusters 5.0 comme le 11TEN Innovation Lab d’Atlanta ou le TMC Factory de Houston.
La collaboration entre toutes les parties prenantes est définitivement un pré-requis « Avoir des outils, c’est bien, être en capacité de les utiliser, c’est mieux » explique le Dr Laurent Saccomano, président de l’URPS ML PACA. « Et pour cela, le maitre mot, c’est de mettre tout le monde autour de la table. Faire communiquer les systèmes nécessite de communiquer entre nous. Après, tout sera possible, » conclut-il.
Félix Mamoudy propose de « renverser la pyramide ». Il explique : « l’innovation vient du terrain, des docteurs, des infirmiers, des administratifs… Le CODIR du Winship Cancer Institute est particulièrement représentatif de la communauté. Chacun a une place définie, avec sa compétence et son engagement et apporte sa part à l’équipe. » De quoi s’inspirer en effet…
Un SI en appui à une prise en charge globale
Vincent Errera, directeur délégué du GHT de la Mayenne, applaudit, quant à lui, la philosophie de prise en charge globale et pluriprofessionnelle du patient qui guide les projets numériques. Le système Epic est l’illustration parfaite de leur « logique de progiciel, complet, qui traite, au sein du même environnement numérique, les soins primaires ou la comptabilité, en passant par la gestion du personnel et la responsabilité populationnelle » comme le décrit Jonathan Lotz, directeur du GRADeS Pulsy de la région Grand-Est. Mélissa Boisgontier, pharmacienne au Centre Hospitalier Compiègne, acquiesce « Voilà un système d’information inclusif qui couvre tous les étages et dont les professionnels de santé parlent avec une totale et impressionnante appropriation. C’est un signe ! » affirme-t-elle. Elle y voit un intérêt fort pour sa spécialité, avec « des fonctionnalités allant de la demande de prescription à l’aide à la décision, jusqu’à l’analyse pharmaceutique des prescriptions qui permettrait de prioriser les patients les plus à risque, en passant par la retranscription des consultations pharmaceutiques,…
Cette approche intégrée est facilitée par la culture outre-Atlantique des API et la collaboration entre les éditeurs qui « mettent en ligne et documentent les autres éditeurs sur la bonne manière de s’interfacer avec eux » complète Jonathan Lotz.
Est-ce que l’on peut aller vers un EPIC français ? Le choix est politique et stratégique. Le directeur du GRADeS Grand Est propose déjà de « s’appuyer sur l’existant. Avec le DMP et Mon Espace Santé, nous disposons de premières versions d’outils et de cas d’usage intéressants » modère-t-il.
Le levier des données de santé
Le stand EPIC était par ailleurs « une très belle démonstration de l’intérêt de l’IA générative pour structurer l’information », partage le Pr Pascal Staccini, responsable DIM du CHU de Nice et du GHT Alpes-Maritimes. « La vision française de la donnée est extrêmement silotée. Il faut imaginer des choses différentes. Sur un territoire, ne plus parler de séjours ni d’actes mais de cohortes de patients. Autour de cette masse de données, il y a des choses intéressantes à explorer, pour faire de la responsabilité populationnelle, par exemple » continue-t-il.
Justement, Antoine Malone, responsable du Pôle Prospective, Europe et International à la FHF évoque le modèle de responsabilité populationnelle développé depuis quelques années sur cinq territoires pilotes français et inspiré du ObamaCare et de son volet numérique, le Hitech Act. « Il s’insère dans une famille plus large de système de santé intégré dont on a vu des modèles à HIMSS. Or, il est impossible de faire de la responsabilité populationnelle sans SI, il était donc intéressant de voir quels outils numériques sont utilisés de leur côté », précise-t-il.
Intelligence artificielle et données : le combo gagnant
Evidemment, l’IA générative aura conquis la totalité des participants, « permettant à l’impossible d’être potentiellement possible », comme le résume le Dr Arnaud Wilmet, directeur médical d’innovation en e-santé chez Nuance. Quand on sait que 30% des données produites dans le monde viennent du secteur de la santé, il est aisé d’imaginer le potentiel des outils qui pourraient permettre de mieux gérer la data. Si les Etats-Unis ont bien avancé sur le sujet, les équipes de la DNS présentes sur le salon ont également noté « l’intérêt de nos homologues américains pour nos démarches de partages de données et de régulation. Ils veulent comprendre comment on s’outille et s’interrogent notamment sur nos entrepôts de données de santé, en termes de garanties techniques, de sécurité et de construction d’un écosystème favorable à l’échange des données » partage Hela Ghariani.
Il est intéressant de se rendre compte que les Etats-Unis jettent un œil sur nos avancées, alors même que, depuis plusieurs mois, l’Europe travaille justement à la mise en place d’un cadre législatif et réglementaire autour de l’IA. David Gruson, fondateur d’Ethik IA, confirme d’ailleurs que « le cadre de régulation proposé est finalement largement convergent avec celui des Etats-Unis, notamment sur le point de la garantie humaine. » Côté français, il constate que « si l’IA appliquée au champ de l'accès avance. On n’en est pas encore tout à fait arrivé à l’IA générative vue aux Etats-Unis. La réalité, c’est plutôt encore l’apprentissage machine par reconnaissance d’images, mais avec une percée très rapide sur le terrain. » Il conclut en rappelant les enjeux. « Les écosystèmes se structurent mais il faut aller vite. Sur les questions clés qui ont pris de l’ampleur, la question transverse c’est IA et responsabilité populationnelle, avec les modèles d’integrated care. En France, la partition des jeux de données entre le SNIRAM, le jeu de données de l’Assurance Maladie et les données cliniques rend ce modèle complexe à déployer mais il faut aller dans cette direction, avec des logiques de parcours territoriaux de santé ».
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